» Barberis est un funambule. Chez lui, le souci de l’équilibre est vital. Non pas dans le sens d’un retour à la construction, à l’ordre ou à la géométrie.Il n’y a aucune loi qui assure la tenue de son travail, pas de préférence entre la composition, le clair-obscur, la couleur. Tout doit concourir ensemble, allié, uni dans la narration de l’instant qui nous est proposé.
L’expression troublante d’étrangeté qui émane de son travail provient de la capacité de Barberis à déceler LE mouvement, le moment figé, plein du sens de ce qui a précédé et de ce qui va advenir. Même le plus banal des sujets prend soudain une radicalité expressive, une épaisseur, une densité. Il raconte la temporalité dans un instantané, paradoxe qui n’appartient qu’aux artistes, ces montreurs de l’invisible. On participe alors à une réalité plus élevée, à une réalité poétique qui nous projette hors de l’instant nu, réducteur. Il ne décrit qu’un mot, un seul, et toute la phrase nous vient à l’esprit.
Barberis n’est pas un poseur, il ne décide pas d’une composition dont la valeur graphique en serait l’unique raison, il nous donne à voir ce que nous ne captons pas, trop habitués à ne voir que l’image. Rien n’est arrêté, tout est plein.
Qu’il est difficile d’écrire une oeuvre d’art, d’écrire ce qui est fait, il faut la parler. Barberis nous parle d’une histoire de la peinture et nous la regardons ».
Marc-Antoine Von Muralt
mars 2009
CODA
Par Fabien Girard
Walter E. Kurtz: « I watched a snail crawl along the edge of a straight razor. That’s my dream; that’s my nightmare. Crawling, slithering, along the edge of a straight razor… and surviving. »†*‡
Le discours d’un fou furieux? Certes… mais surtout une réalité zoologique, et l’esquisse d’un projet artistique aussi risqué qu’ambitieux: l’adhésion à la vie, avec ses fluctuations et ses émotions contradictoires; le refus du réductionnisme et des maximalismes.
La mort de la peinture, abolie par la photographie, Malevitch et Duchamp… Une terre désolée sur laquelle il faut reconstruire – Où l’on ne peut pas copier ses maîtres sous peine de tomber dans un radotage oiseux. Ce sont les ombres de ce coupe-gorge stérile que Barberis a décidé de ressusciter.
Barberis a ouvert le testament de la peinture pour y trouver sa pierre philosophale – la régénération des chaires et des âmes.
Il était un temps où le peintre pouvait être un faiseur – cette époque est révolue.
Parce qu’il appréhende avec ses émotions qu’il restitue au travers du prisme de l’histoire de l’art, Barberis nous prend par les sentiments et nous emmène dans le théâtre des rêves.
Il nous propose une richesse qui n’est pas celle de la saturation et de la surabondance, mais celle de l’in-fini et de ses potentialités – un monde qui suinte de promesses, mais ne saurait écarter complètement la catastrophe. Il trouve et explore le moment décisif aussi bien dans la vie que dans l’acte créateur.
Barberis ne nie pas le hors-champs, il le rend caduc. L’artiste et ses intentions s’effacent – les œuvres nous entraînent dans des expériences vitales.
Loin de la cristallisation stendhalienne, les œuvres de Barberis nous proposent une relation durable, complexe et féconde. Elles nous réconcilient non seulement avec une peinture actuelle et audacieuse, mais surtout avec nous-mêmes et nos émotions volages.
Barberis fait partie de ces mutants qui nous laissent entrevoir l’avenir d’une peinture turbulente et habile, apaisée et conquérante.
En réenchantant la peinture, Barberis réinvente les possibles de nos vies.
†*‡ »J’ai observé un escargot qui rampait sur le fil d’un rasoir. Voilà mon rêve; voilà mon cauchemar. Ramper, glisser sur le fil d’un rasoir… et survivre. »
Excellent!
Excellent! Le mot que Barberis nomme souvent. Un être enthousiaste, ami de Dieu, de la Beauté. Pas étonnant, Cédric vit dans la cure de Saillon.
Artiste et sacristain, il est ainsi l’émule d’Edouard Vallet qui, à Vercorin, demeurait dans la maison qui avait abrité l’école et la cure du village.
Son atelier, une salle d’école d’autrefois, rue St-Jacques 22 où le poêle occupe l’angle de la pièce trapézoïdale à coté duquel reste le lavabo surmonté d’un miroir aux noires armoires, un salon de coiffure abandonné. La pièce, éclairée par six fenêtres hautes et étroites à croisillons, dégage un monde insolite où peintures à l’huile et estampes se côtoient, mélangeant les odeurs de la térébenthine et des encres.
En question, deux grandes huiles, une tête de Christ et un nu de femme allongée…
Ami de la nature, Cédric donne une touche au jardin botanique entourant l’église pour lequel il a peint sur ardoise les noms des plantes aromatiques, médicinales et tinctoriales.
Descendant de St-Luc dans la plaine où Courbet aimait à peindre, Cédric a gardé le goût de la terre et des paysages qui l’entourent. Tout est toujours à faire pour Barberis. Découvrir, se questionner.
Ses estampes où des surfaces plus remplies de blanc jouent avec les noirs affirmés pour nous découvrir ses nus dans leur intimité.
Ses travaux vont à l’essentiel, à l’homme, et me semblent inénonçables
» car n’est jamais énonçable ce qui est de l’homme » (St-Exupéry)
Pierre-Gérard Crettaz
Le mystère renouvelé
Cédric Barberis ou le mystère renouvelé
L’artiste crée, comme une obligation, comme un besoin qui le submerge, « comme une envie de pisser », disait Pierre-Auguste Renoir, comme un appel souterrain, un désir tortueux, subversif, pervers, transcendant.
Mais que nous dit l’artiste ?
L’autre jour, je suis venue te rendre visite dans ton atelier de Saillon. Saillon, un bien beau village qui couvre la colline, lui tient chaud en hiver, l’épouse au printemps, l’étreint en été et lui rend grâce en automne. Donc, là-haut sur la colline, entre les maisons et les paysages, se trouve l’atelier de Cédric Barberis, artiste peintre et sacristain de son état. Tu m’as ouvert la porte de ton atelier et j’ai découvert l’endroit où tu crées. Un endroit qui te ressemble, accueillant, serein, simple.
Il y a chez toi cet amour pour les femmes, cet amour pour les corps, pour les visages féminins.
Oui, la création est un mystère impénétrable qui mêle l’artiste, son passé, ses rêves, ses douleurs, son vécu, avec le présent, l’émotion, le temps et quelque chose d’autre qu’on peut appeler l’inspiration, cette muse capricieuse, cette amante ardente et froide, cette idée qui flotte entre les émois et la matière et ce hasard incertain et souverain.
Bien sûr, il y a ton humeur du jour, il y a cet homme que tu croises ce matin sur le chemin de ton atelier avec son regard préoccupé, il y a l’oiseau qui s’envole d’un coup sur le toit d’en face, il y a la lumière qui éclaire le sommet de la montagne, là-haut, il y a cette idée qui revient dans ta tête depuis quelques jours et il y a aussi cette part de mystère qui vient d’ailleurs, de plus loin, de plus profond et qui fait scintiller un regard, resplendir une épaule, cette inspiration qui surgit de nulle part, qui vole et s’envole comme un papillon éphémère et fragile.
L’émotion, les couleurs, les formes, l’intensité. La loi organique qui s’épuise en recréant l’absolu de la courbe d’une hanche dans un décor qui s’échappe.
Intemporalité et universalité. On pourrait te retrouver dans l’atelier de Pierre-Auguste Renoir, habitant une région exotique, entouré de Tahitiennes, recherchant la vérité dans le regard de La Goulue, arpentant les champs de blés. On peut aussi naviguer avec toi entre les siècles et découvrir des bribes d’histoires artistiques et vitales ensemencées par le désir et la chair jouisseuse. Mais quoi de plus exotique que le village de Saillon, là-haut sur la colline, au-dessus des turpitudes et des chamailleries, ton métier de sacristain, les femmes de ta vie, ton épouse et tes deux filles. Quoi de plus charnel que ton rire, rond, entier qui donne envie de partager, de faire bombance et ripaille à la fois.
Mais il y a aussi cette part d’ombre, cette inquiétude, ce tourment, cette tension mêlée à la volupté, à l’extase, à la sensualité. Et Dieu créa la femme à l’image du plaisir et de la joie, à l’image du secret et du mystère, à l’image du don et de la retenue, entre des étendues de couleurs lointaines et vaporeuses, des mouvements lourds et fiers, des désirs féroces et profonds.
Des mots qui viennent entre les pages de l’histoire des hommes, des mots qui suivent les lignes, les formes, les regards, qui s’engouffrent entre les plis et s’essoufflent.
Et après, il faut se taire et s’imprégner du moment, du sentiment, de la jouissance, des errances qui jouent entre les couleurs et les formes, ne plus penser, redevenir matière, réapprendre à toucher et à respirer pour mieux embrasser la vie. Et accepter de n’avoir toujours pas bien compris.
L’autre jour, en passant par Rossinière, j’ai visionné quelques films sur Balthus. Balthus dans son atelier, travaillant inlassablement. Un autre monde, une autre époque, loin des fureurs et du bruit, un monde de délicatesse et de labeur, de recherche avec toujours cette part de vie qui échappe à la loi, aux règles, aux discours, à l’étude, cette étincelle qui fusionne le ciel et la terre, le connu et l’inconnu.
« Je suis convaincu que le mot « artiste » est une insulte car, dès son apparition, l’amour de l’artisanat a disparu. » Balthus
Véronique Chobaz
Sa nature liée à la terre…
Sa nature liée à la terre, par ses racines d’homme des montagnes, devient par conjonction, l’ancrage de son expression artistique…
Cédric se définit comme artisan au service de son oeuvre, privilégiant l’idée du métier, qui acquière ses techniques avec le temps de l’expérience, du savoir-faire… Proche de la condition humaine, de cette souffance transpirante, étouffante, qu’une réalité jaillissante, parfois absurde, ambiguë, implique en profondeur…
Rien pour lui n’est acquis, tout se besogne, comme un lion ne lâchant pas sa proie, il se livre à des luttes intérieures qu’il sait illusoires et que seul une trêve, un état de grâce peuvent apaiser…
Ses instantanées sur image, nous divulguent l’intemporelle de mise en scènes répétées, théâtrales, quelquefois pathétiques reflétant la lourdeur d’un quotidien usant… Nous transportant aussi dans des mondes suspendus, poétiques, sensuels évoquant les plaisirs charnels, des symboles onoriques, en clins d’oeil souriants, suggérées par ce perpétuel paradoxe humain… Soulignant ainsi, la naissance, le mal-être et la mort par ces corps qui de leur âme se vident dans une errance presque magique, marquant de ce fait, notre passage transitoire… Il se nourrit de ces scènes, les démystifie, en interrogation sur le sens de l’existence.
Parlant une langue de tonalités, qui échappent de toute évidence à une recherche esthétique de bien plaire, servant avant tout d’interprète aux mouvements soufflés de traits qui donnent à sa peinture, formellement la puissance d’exister…
La gravure l’amène naturellement à expérimenter d’autres horizons de ce rapport à la matière, plus subjectif où l’interdépendance des ingrédients devient subtile, aléatoir. Métamorphose de noirs, interaction acide, manuelle, où le permanent et l’impermanent se livrent à une dance de contrères, défendant la même cause de cette quête infinie de lumière…Par ce moyen habile, cette alchimie nuancée de lueurs d’ombre, Cédric nous narre son univers dans la plus grande humilité.
Son rapport au temps est d’un autre temps…
Nicolas, Ami du voyage…
(Exposition de gravure, Cully, 2006)
Témoignage
Hymne au talent
Cédric Barberis m’a touchée, profondément, viscéralement…
Il a découvert ma propre intimité et je rougis…à la fois gênée et flattée, d’avoir été dévoilée par cet inconnu.
Il parvient à révéler le monde intérieur de la femme dans une ambiance intimiste, presque voyeuriste.
Je suis restée troublée par ses couleurs presque organique ramenées à la vie par une lumière indiscrète. Ses tableaux me laissent sans voix; peut-être qu’ils me ramènent à quelque chose d’indéfinissable, de charnel, de lointain…
Cet artiste regarde la femme comme si elle avait été destinée à être admirée, dessinée, immortalisée dans l’imaginaire de l’homme, subjugé par ses mystères.
Observée à son insu par cet homme épris de corps et de féminité, elle exprime sans gêne sa sensualité et son arrogante conscience d’être l’objet de tant de désir.
Quel magnifique moment de grâce! Merci Cédric
Nadia Dal Checco, émue en regardant « En route pour la joie », le 01 mars 2009